GUERRES

14-18

Patrimoine historique, commémoration

Armistice 14-18, Article

Par ALAIN FABREAL


Notes préliminaires

Depuis 4 ans, le temps de la guerre, je conduis un travail de peinture autour de la Grande Guerre 14-18.

Ce travail compte six séries de tableaux qui sont :

· Les gueules cassées

· Les soldats debout

· Les no man’s land

· Les destructions

· Les machines de guerre

· Les cibles mobiles

Ce travail représente une expérience intérieure de l’horreur par l’évocation de l’inhumanité de ce terrible conflit.

Non seulement de manière explicite, voire expressionniste ; mais aussi en partageant le destin funeste de ces millions de soldats écorchés vifs ou posant nonchalamment devant l’œil du photographe, sans se douter un seul instant de l’avenir funeste qui se profilait à l’horizon.

Témoigner de ce moment d’histoire est aussi le moyen de parler de l’effondrement de cette société et des ruptures qui l’accompagne.

Ouvrir cette thématique c’est interroger l’histoire de l’art, l’histoire de la peinture et plus encore celle des avant-gardes si nombreuses alors.

Pour cela mon travail de peintre est à la confluence entre l’histoire et l’histoire de l’art. J’ai réalisé une recherche historique et iconographique autour de centaines de documents d’archives témoignant des moments les plus horribles, photos décrivant les opérations chirurgicales des gueules cassées, images des no man’s land, désolation et destruction des paysages et des villes éventrée. Mais aussi celles plus angoissantes, des retrouvailles ou des soldats posent presque tétanisés avant la bataille.

À partir de ces matériaux objectifs, j’ai construit mon travail, ma peinture, en faisant appel en permanence à ma culture de peintre convoquant les portraits de Zurbaran, de Velásquez ou les horreurs de la guerre de Goya, les corps de Bacon ou les fresques d’Otto Dix.

Si cette exposition témoigne de la guerre par l’expression d’une intériorité, elle atteste aussi de la même manière de mon attachement à la peinture comme un médium capable de porter le message de l’horreur sublimée par l’art.



AXE ET THÉMATIQUES DE TRAVAIL

POURQUOI PEINDRE L'HORREUR ?

À partir d’un fait historique comme la guerre de 14, je pose une double réflexion sur le passé proche afin de mettre à jour une problématique autour de la notion de rupture. Cela permet d’envisager les choses en termes de causes et de conséquences. Cette problématique ouverte j’imagine l’attachement comme une échappatoire à l’enfer de cette conséquence.

Je conclurai en disant qu’opérer cette jonction c’est ouvrir le futur vers une nouvelle histoire donc avec de nouvelles conséquences construites et fondées sur une nouvelle continuité.

 

De l’histoire

Mon travail est à la confluence entre art et histoire, de l’histoire à l’histoire de l’art.

À la charnière entre deux mondes, la guerre de 14 m’intéresse particulièrement parce qu’elle est à l’articulation entre passé et modernité. Mais plus encore parce que ces 4 ans de conflit posent aussi les fondations de notre monde contemporain. Celui que nous partageons aujourd’hui. Interroger le passé est pour moi le moyen de construire et de comprendre le présent.

L’histoire commence donc à l’Est, à la frontière entre deux pays, là, sous les no man’s land, dans ces labours terribles est enterrée une partie de notre humanité. J’ai voulu poser un regard sur ce moment funeste. Cent ans après, ouvrir ces ténèbres de corps et de sang pour comprendre pourquoi le futur s’est bâti sur l’horreur.

 

Confluence et méthodologie, histoire et histoire de l’art

Mon projet est au centre de ces deux histoires. Ma peinture incarne cette convergence. J’observe les faits historiques presque de manière objective, les gueules cassées, les no man’s land, les photos des soldats sur le front. Ce substrat historique engage ma recherche sur un territoire personnel, habité des artistes et des cultures passés. En parcourant ces espaces, je rencontre et je parle des peintres qui ont en leur temps traduit l’horreur, la guerre, mais aussi les soldats, les portraits, les paysages.

Cette histoire qui affleure à la surface du tableau raconte en couches successives mon attachement et mon intérêt pour la peinture. Le geste du peintre fait toujours écho aux gestes des autres peintres qui, avant lui, inscrivirent leur nom dans l’espace du tableau. Peindre, c’est remonter le cours du temps et entretenir ce face à face avec l’histoire.

Ma méthode est donc là ; parcourir le chemin de l’histoire à la rencontre des revenants dans un face à face sur la toile.


De la rupture

La guerre de 14 constitue une rupture historique, une sécession. On dit : plus jamais ça ! on exhorte les nations de se prémunir des patriotismes exacerbés. On imagine des avant-gardes pour prévenir du pire. Mais l’avant-garde au centre de nos attentions marque une position toujours plus avancée. Être à l’avant-garde ne souffre aucun recul, la projection est permanente et la rupture devient de fait un concept afférent.

La guerre a posé la modernité comme reliquat à l’effroi. Être moderne signifie encore aujourd’hui se détacher, se séparer, se mettre en avant.

L’avant-garde, dans son inadaptation à composer avec le passé, lorgne toujours en arrière le point d’attache qu’il ne faut jamais rejoindre sous peine d’anéantissement. Ce mouvement perpétuel n’est-il pas le signe morbide d’un enfer ? À l’image des cercles que forme le Styx.

Toute la symbolique de rupture, rattachée à la guerre de 14, pose les bases de ma réflexion. C’est à partir de cette observation historique que j’imagine une nouvelle généalogie qui viendrait expliciter mon hérédité de peintre.

 

Généalogie et dilection

En ces temps effroyables, les usines étaient asservies à l’extermination de masse. La mécanique infernale de l’anéantissement venait de commencer.

Au crédit des temps modernes et industriels, des millions de morts anonymes.

En ouvrant cette thématique, je regarde l’histoire se dérouler sous mes yeux. Je constate que l’enjeu n’est plus à la rupture.

Trop longtemps pris dans ce cercle vicieux, j’aspire aujourd’hui à l’attachement et à l’explicitation.

Le regard plongé dans l’histoire de l’art, je déplie le passé.

Je réunis dans ce panthéon magnifique les portraits de Bronzino, ceux d’Holbein, les soldats de Velázquez, homme et femme de Zurbaran, de Goya, les horreurs de la guerre, les frontispices ornés de scènes de batailles antiques jusqu’aux Sabines de David. J’ajoute pléthore de militaires en armes, combattants étrusques, grecs ou romains. Je rassemble d’immenses étendues, des panoramas, des horizons, des ciels, de Courbet, Corot, Turner allant jusqu’aux perspectives du Pérugin et aux paysages hollandais.



De l’errance

Au contexte de la guerre et de la table rase, je propose d’ouvrir le regard à l’écoute du temps. Non pour comprendre, mais pour aimer. Au fracas des ruptures, des postures, je propose d’ouvrir l’espace de la peinture comme un chemin personnel et singulier. Un territoire fait de multiples dimensions et d’hétéroclites géographies, composées d’œuvres, de lieux, d’artistes, d’histoires et de temps. C’est à partir du territoire que j’habite que je me propose de peindre.

Du fond de cette source, je puise des figures. Je remonte et j’exhume des flammes du passé, des lueurs contemporaines qui éclairent ma voie.

Cette guerre de chair et de sang ouvre un nouveau champ de recherche, ce n’est plus la mort et l’affrontement, c’est au contraire la sublimation de l’horreur.

Des entrailles ouvertes de l’histoire remontent des œuvres qui viennent frapper au monde contemporain. Il s’agit donc par cet attachement de témoigner du réel. Écouter parler ces revenants au travers du monde séculier, comme des résurgences lumineuses du passé viennent éclairer la nuit contemporaine.

Epilogue

J’utilise la guerre de 14 comme un sujet d’étude, comme un motif d’observation sur lequel je peux appuyer une réflexion à double point de vue.

  1. Point de vue de l’histoire, quel est le sens produit par ce fait dans l’histoire contemporaine, sur les rapports sociaux, industriels et politiques ?
  2. Point de vue artistique, quel sens entretient-il avec l’histoire de l’art?

Mon analyse conduit à mettre en évidence un espace commun qui est à la convergence de ces deux points de vue. La superposition de ces deux espaces dégage une troisième notion qui est celle de la rupture.

Celle-ci est présente à la fois dans l’idée de rupture civilisationnelle, mais également dans l’histoire de l’art.

La rupture vient faire un écho particulier avec le concept d’avant-garde, en confluence avec la guerre, l’art et la science.

L’avant-garde est une rupture avec le passé. Elle se construit dans une perpétuelle contrainte dont l’enjeu principal est de conserver une distance suffisante au détachement. Plus simplement et de façon mécanique et structurelle l’avant-garde est toujours détachée ce qui constitue le corps de la troupe et que nous appelons ici passé ou histoire.


C’est en observant l’histoire des avant-gardes que l’on décèle cette idée d’un mouvement perpétuel. Le symbole d’une révolution en marche, c’est sa permanence à revenir sur son point d’origine.

Pour sortir de ce cercle infernal, je propose d’opposer aux avant-gardes la notion d’attachement et d’explicitation. Un attachement au passé et la culture comme point de jonction avec le monde contemporain, pour construire celui-ci.

J’argumente le concept d’attachement par la relation consubstantielle qu’entretiennent la peinture et l’histoire. Les hommes peignent depuis la nuit des temps et le peintre d’aujourd’hui ne fait que redonner vie à ces gestes millénaires. Aujourd’hui, il devient un véritable enjeu que de penser la peinture à l’aune de son histoire passé si on l’oppose à la succession stérile des avant-gardes.

La peinture ne souffre pas du manque de nouveau au contraire. En renouant avec le passé, les peintres sont les plus disposés à imaginer et à magnifier la pensée picturale contemporaine.

Cet attachement vient éclairer une autre idée qui est celle du territoire de la pensée personnelle. Je veux parler de cet espace intérieur dans lequel la peinture établit ses fondations. Celui-ci est constitué de la diversité des espaces qui l’architecture, sa géographie est composée des œuvres, artistes, romans, littérature, histoire personnelle, etc.