Textes et réflexions

La peinture

La peinture de m’appartient pas !

La peinture ne m’appartient pas ! Si par moment elle semble se laisser dominer, l’instant d’après, suit le chaos, la catastrophe, puis à nouveau l’abîme et la fusion.

Elle est comme l’eau qui glisse entre les doigts.
Provisoirement, elle se laisse capter, diriger, porter, mais elle échappe à la permanence, à la détermination. Lui assigner un objet revient à la tuer.
En connaître les codes et les savoir-faire ne gage pas de sa maîtrise.
Elle se dérobe même à l’exposition, c’est là tout son paradoxe. Rétive et fuyante aux explications et aux théories.
Mais alors qu’est-ce que la peinture ? Comment la circonscrire, que dire, qui éclaire sa pratique ? Comment la théoriser, l’appréhender hors des « ismes » et des chapelles ? Ici, peut-être une réponse, en cherchant à lui redonner sa dimension universelle, celle qui dépasse les catégories de l’histoire de l’art, les cultures et qui lui rendent un horizon à l’échelle de l’humanité.
Elle vient des origines et parcours toutes les cultures. Elle est ce fluide vital, le sang qui coule dans les veines des peintres d’où ils soient et d’où ils viennent.

Depuis ces longues années de pratiques, de cheminement et d’exploration dans ce vaste paysage (la peinture), sa géographie m’échappe encore. Son territoire file et se dérobe à toute toponymie, à toute topographie. Aller vers la peinture, c’est parcourir un chemin qui s’ouvre à mesure que l’on avance, c’est aller, vers là où l’on ne sait pas.
La peinture je la vole, je la détourne ici ou là quand je sens qu’elle m’appartient. C’est une sorte d’identification, comme voir à la dérobée le reflet inquiétant de son visage.

Ces problématiques sont au cœur de mon travail de peintre. Je les développe sur la totalité des thématiques que je mets en œuvre dans les séries que je produis.
J’interroge notamment la figure classique du portrait dans la série des gueules cassées et des soldats debout ces pièces s’inscrivent dans un cycle consacré à la guerre de 14.
S’ajoute à celui-ci une série de paysages appelés no man’s land.

L’idée est d’interroger l’universalité de la représentation et de l’image au travers du temps et des cultures.
La variété des signifiants produit cet écart dont parle François Julien, il permet véritablement de poser la question de l’essence de la peinture. Ces interrogations sont mises à l’épreuve par de nombreux biais, particulièrement en rapport avec la construction de l’espace dans la relation entre fond et figure, par l’analyse des couleurs, réelles et symboliques, entre le réel et l’allusif, le formel et l’informel, la matière et le lisse, etc.
La liste pourrait être longue, nous pourrions augmenter cette étude de l’ensemble des constituants de la peinture. Interroger aussi leur mise en œuvre pour en observer dans les productions tous les écarts sémantiques.

Je pose la question stratégique qui nous permettrait de capter ces valeurs intrinsèques à la peinture ? Pour éviter la violence de la frontalité, il faut tourner la tête légèrement, regarder de biais. De biais, cela permet de penser tout en regardant, voir et penser, penser et voir. Ne pas être submergé, noyé par l’image, mais au contraire la laisser pénétrer en soi avec maîtrise et réflexion.

La peinture dans son indistinction, dans son indéfinissable caractère flotte dans l’entre, dans cet espace fluide et inconstant que le peintre apprivoise sans jamais le dévoiler ou le maîtriser, car tout contrôle annihile de facto sa nature et réduit à néant son essence même. Il convient donc de façonner cet écart, de maintenir la distance comme des halos de lumière résonnent dans la nuit, et diffusent dans cet entre leurs vibrations colorées.

 Le nouveau paradigme de la peinture :

La nouvelle peinture, pour utiliser avec recul un concept d’art contemporain (le nouveau), change sans bouger. C’est une transformation silencieuse, un voyage immobile, c’est l’artiste qui doit effectuer un déplacement producteur d’un écart sémantique.
Changer de point de vue, biaiser son regard, se déplacer afin de découvrir une autre face, la face de l’autre, celle de la totalité et de l’infini. Pour un peintre jamais ne cesse ce dialogue avec la totalité, il doit toujours regarder plus loin que l’espace auquel il est assigné. C’est dans cet écart, entre (« ici et maintenant, là ») et la totalité, que se trouve sa place.

Pourquoi la peinture ne m’appartient-elle pas ? Parce qu’elle est totalité et infini et qu’elle ne peut pas être réduite au cortical ! Si quelques fois, la forme la contient, elle se dérobe, et s’épanche. Comme l’eau, l’essence de la peinture, prend toujours la forme du vase qui la contient.